Les créatures fantastiques





Nouvelles analysées





Comme une passerelle

La Presseuse

Poids lourds

 Giuseppe Arcimboldo, 1527-1593, L'hiver, peinture sur bois, Vienne.



Comme une passerelle, p. 100

La nouvelle intitulée "Comme une passerelle" relève de la science-fiction. En effet, la créature imaginée par Stephen King, si elle est aussi redoutable qu'un démon, est soumise à des lois physiques que nous pouvons admettre, sans qu'il soit nécessaire de faire appel à l'existence d'un autre monde. Si des yeux poussent sur les doigts du narrateur, si son esprit et son corps sont parfois contrôlés par une force qui le dépasse, une hypothèse rationnelle explique tout : l'astronaute a été contaminé, au large de Vénus, par un virus interstellaire, ou plus exactement par une créature extraterrestre, d'abord microscopique, qui a trouvé un hôte humain et qui se développe peu à peu, pour retrouver sa forme originelle.





La Presseuse, p. 115


Dans "La Presseuse", Stephen King a imaginé une curieuse variante du thème de la possession démoniaque; en effet, ce n'est pas un homme qui est habité par une créature infernale, mais une machine, une "presseuse", ou plus exactement une repasseuse, utilisée dans une blanchisserie industrielle. Les descriptions soulignent tour à tour les deux aspects inhumains, inquiétants ou terrifiants de la machine: il s'agit d'une part d'une "immense boîte rectangulaire", pourvue de "seize énormes cylindres rotatifs", dont l'acier est "recouvert d'amiante", mais le démon apparaît nettement, quand un câble de 550 volts tombe "en crachant son feu bleu", et que des personnages se croient observés par "deux boules de feu, semblables à deux yeux à l'éclat blafard, deux yeux voraces et sans pitié". Il n'est pas inutile de rappeler que Victor Hugo, dans Melancholia, ou Emile Zola, dans L'Assommoir, ont personnifié des machines pour en souligner l'aspect diabolique. Ce qui était au XIXe siècle une dénonciation métaphorique est devenu sous la plume de Stephen King une transmutation prise au pied de la lettre.





Poids lourds, p. 177


Le thème du robot qui se révolte contre son créateur est traité d'une manière originale dans "Poids lourds", où des camions asservissent l'humanité. Contrairement au robot, qui a forme humaine, ou à l'ordinateur de 2001, Odyssée de l'espace, dont l'intelligence, pour être artificielle, n'en existe pas moins, les véhicules qui se révèlent soudain doués de raison sont des machines banales, qui existent dans notre vie quotidienne. Cette extraordinaire mutation, qui transforme des poids lourds en êtres pensants, radicalement hostiles à l'humanité, n'est pas expliquée de manière rationnelle: des "orages électriques dans l'atmosphère" et des "essais nucléaires" sont bien suggérés, mais le narrateur, dont l'avis semble plus pertinent, se contente d'avancer une étrange hypothèse: "Peut-être qu'ils sont devenus fous". Il faudrait alors admettre que les poids lourds - et peut-être les avions, ainsi qu'on le redoute dans le dénouement de la nouvelle - sont, dès maintenant, doués d'intelligence, et qu'ils acceptent, raisonnablement, de servir l'humanité. Une crise de folie pourrait survenir, à moins que l'on ne considère cette révolte comme un mouvement de libération, parfaitement logique...