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Honoré de Balzac (1799-1850) est un des plus grands écrivains français. En moins d’une trentaine d’années, il a écrit 92 livres dont 74 romans.
Il est l’auteur d’une des plus importantes architectures littéraires de la langue française,
La Comédie humaine.
Parmi ses livres les plus célèbres on compte
Le père Goriot, Les Illusions perdues, Le Colonel Chabert, Eugénie Grandet.
Il a cherché à aborder tous les sujets, à rendre tous les caractères humains, à créer la galerie de personnages la plus complète.
Son œuvre est une fresque gigantesque à la fois historique et sociale qui pour l’essentiel se situe sous la Restauration et la Monarchie de Juillet.
L'introduction:

Quels éléments doivent figurer, selon vous, dans "l'amorce"?

Balzac, écrivain réaliste du XIX
e s.
La Comédie humaine. Le Père Goriot, Rastignac et Vautrin.
I. Un portrait inquiétant: Vautrin est un marginal pessimiste et révolté.
1. Les jeunes gens et la lutte pour l'argent:

"Une rapide fortune est le problème que se proposent de résoudre en ce moment cinquante mille jeunes gens qui se trouvent tous dans votre position."

Affirmation pleine de certitude (péremptoire).

"Rapide": donc, cela exclut la réussite par des études longues, les progrès dans un métier…

Les moyens honnêtes sont écartés – il ne reste alors que les moyens malhonnêtes,
et Vautrin ne les condamne pas.

Il trouve tout naturel que "50 000" jeunes gens pensent ainsi, et le nombre hyperbolique suggère l'approbation: tant de gens peuvent-ils se tromper?

"Il faut vous manger les uns les autres comme des araignées dans un pot, attendu qu'il n'y a pas cinquante mille bonnes places."

La comparaison est dépourvue de toute poésie, de toute noblesse: les "araignées" n'ont rien du renard ou du lion de La Fontaine.
Les connotations sont toutes déplaisantes: on songe à une expérience sadique (qui a enfermé les araignées?) qui laisse libre cours au cannibalisme.
Les premiers ennemis des ambitieux sont leurs semblables, et la lutte est féroce.
On comprend que l'échec d'un de ces jeunes gens est une véritable mort – puisque leur vie se résume à la satisfaction de leur passion.

Jugement de Vautrin: "Il faut" – là encore, aucune condamnation morale, simple constat scientifique (et qui est bien proche de l'approbation!).

"Aussi l'honnête homme est-il l'ennemi commun. Mais que croyez-vous que soit l'honnête homme? A Paris, l'honnête homme est celui qui se tait, et refuse de partager."

On peut comprendre: Il n'y a pas d'honnête homme. Celui qui passe pour tel n'est qu'un scélérat qui a su être discret. L'opinion publique se trompe.
2. Les femmes et le peuple:
a) Les femmes:

"Toutes sont bricolées par les lois, en guerre avec leurs maris à propos de tout.
Je n'en finirais pas s'il fallait vous expliquer les trafics qui se font pour des amants, pour des chiffons,
pour des enfants, pour le ménage ou pour la vanité, rarement par vertu, soyez-en sûr."

Aucun mariage (dans la haute société…) ne serait donc heureux. Ce pessimisme peut s'expliquer:
les mariages d'amour sont rares à cette époque, et dans ce milieu. Les femmes recherchent donc dans les toilettes (les "chiffons",
méprisés par Vautrin, qui permettent de briller dans les bals) et auprès de leur amant les plaisirs qui sont le but de leur existence.
"Pour des enfants" suggère sans doute la préférence des femmes pour les enfants qu'elles ont eus… de leur amant!
Là encore, la morale traditionnelle est bafouée.
b) Le peuple.

"Je ne vous parle pas de ces pauvres ilotes qui partout font la besogne sans être jamais récompensés de leurs travaux,
et que je nomme la confrérie des savates du bon Dieu. Certes, là est la vertu dans toute la fleur de sa bêtise, mais là est la misère.
Je vois d'ici la grimace de ces braves gens si Dieu nous faisait la mauvaise plaisanterie de s'absenter au Jugement dernier."

Les "ilotes" étaient les esclaves des Spartiates; ils sont utilisés comme le symbole de la servitude absolue.
Vautrin désigne ainsi le peuple des travailleurs, vertueux et misérables.
Leur seule consolation se trouve dans l'au-delà promis par la religion – mais Vautrin est athée!
La religion est ainsi présentée comme "l'opium du peuple", pour reprendre une formule de Marx.
Les paroles de Vautrin ont quelque chose de diabolique…

Cette vision de la société est en tout cas aux antipodes des conceptions chrétiennes (pourtant revendiquées par la Restauration).

"L'on plie sous le pouvoir du génie, on le hait, on tâche de le calomnier, parce qu'il prend sans partager;
mais on plie s'il persiste; en un mot, on l'adore à genoux quand on n'a pas pu l'enterrer sous la boue."

L'immoralité est complète, dans toutes les couches de la société: le génie n'est jamais estimé à sa juste valeur, pour ses mérites propres: d'abord calomnié,
il est ensuite adoré, ce qui disqualifie complètement l'opinion publique: elle passe de la jalousie à la servilité.

"Je n'accuse pas les riches en faveur du peuple: l'homme est le même en haut, en bas, au milieu.
Il se rencontre par chaque million de ce haut bétail dix lurons qui se mettent au-dessus de tout, même des lois; j'en suis."

L'oxymore "haut bétail" résume le jugement de Vautrin: Les hommes ne valent pas mieux que des animaux – privés d'intelligence, dépourvus d'âme.
Seuls ceux qui osent braver les lois sont alors des hommes véritables.

Mépris de l'humanité, cynisme d'un marginal qui se veut et se proclame marginal!
3. Les moyens employés:

"Par l'éclat du génie ou par l'adresse de la corruption. Il faut entrer dans cette masse d'hommes comme un boulet de canon, ou s'y glisser comme une peste."
Les deux moyens possibles semblent constituer une antithèse: le génie est admirable, la corruption méprisable.
Cependant, le génie est associé à une comparaison guerrière ("comme un boulet de canon"),
qui suggère la violence et la destruction. En outre le génie est forcément exceptionnel, puisqu'il s'agit d'un don naturel.
La corruption est plus accessible - et donc plus fréquente. L'ensemble de la société, "cette masse d'hommes" est en tout cas victime
de ceux qui s'en dégagent pour la dominer: le boulet de canon et la peste ne valent pas mieux l'un que l'autre.
Transition:

La marginalité revendiquée, consciente, devient une supériorité affichée, un moyen de conquête et de pouvoir: Vautrin, le marginal, veut convaincre Rastignac de lui ressembler,
de devenir aussi marginal que lui, moralement, pour triompher et réaliser ses ambitions.
Ce personnage diabolique (c'est un tentateur) est donc séduisant – c'est un héros qui possède la "beauté du diable".

Vautrin acquiert le statut de héros par sa capacité à séduire…
II. Un homme particulièrement convaincant – un héros diaboliquement séduisant
1. Le choix d'un niveau de langue:
Le langage populaire:

"ma tête contre un pied de cette salade"

"femmes bricolées",

"on carotte",

"ça pue"...

Les expressions familières, argotiques, sont naturelles dans la bouche d'un forçat évadé… mais elles ont le mérite d'impressionner Rastignac,
un jeune noble de province, quelque peu désemparé devant la violence du langage populaire.
Ce langage direct, sans fard, est d'ailleurs parfaitement adapté au sujet du discours: il faut arracher le masque de la société,
faire tomber son vernis raffiné, pour montrer sa vulgarité foncière.
2. Une argumentation habile (convaincre et persuader)
a) Convaincre: Une démonstration mathématique:

"une rapide fortune est le problème que se proposent de résoudre cinquante mille jeunes gens"

"une unité de ce nombre"

"six mille francs"

"chaque million"

+ "parce que", "ainsi", "si", "donc", etc.)

L'allure mathématique du raisonnement lui donne une forme d'objectivité irréfutable. Ce type de raisonnement chiffré est d'autant plus efficace qu'il s'agit… de faire fortune.
b) Persuader: L'implication de l'interlocuteur

"savez-vous?", "croyez-vous?"

"jugez", "tirez vos conclusions",

"vous verrez des femmes...", "vous verrez des employés"

Le ton est celui de l'homme d'expérience, sûr de lui, qui fait profiter Rastignac des leçons qu'il a lui-même tirées. Variante de l'argument d'autorité!
Bilan de 1. et 2.

Le lecteur, qui peut facilement s'identifier à Rastignac, est lui aussi impressionné par un discours particulièrement efficace. Le lecteur se demande si Rastignac va céder…
Vautrin est un personnage qui pourrait bien réussir – on peut donc parler de héros de roman, de personnage hors du commun,
doué de qualités étonnantes (ici oratoires) qui le rendent capable d'influencer le destin d'un autre personnage.
3. Un héros qui est le double de l'auteur!

Vautrin et Balzac: Qui est Vautrin, par rapport à Balzac?

De profondes affinités – bien que Balzac soit monarchiste et catholique.
Volonté de conquête et de revanche sur le monde.

L'auteur de
La Comédie humaine ce "forçat de l'écriture", fut contraint de travailler sans relâche, obsédé par l'argent qu'il lui fallait absolument gagner
pour satisfaire les créancier qui le poursuivirent toute sa vie.
Vautrin veut guider Rastignac et trouver ainsi, par procuration, une place dans le monde. Les personnages de Balzac lui offraient aussi une satisfaction de ce genre.
Dans ce roman d'initiation, Vautrin est un guide. Mais nous pouvons nous souvenir de la "double énonciation", si utile pour commenter une scène de théâtre:
Balzac se sert de Vautrin pour s'adresser au lecteur, et l'amener à réfléchir sur une société immorale.
Conclusion:
Vautrin: un personnage fascinant, un tentateur diabolique – qui permet de décrire une société.

Une ouverture vers le "Nouveau Roman": Le XX
e s. voudra se détacher des personnages balzaciens, et proclamera même la "mort du personnage".

Devenus anonymes et ambigus, les personnages évoluent du même coup dans une intrigue énigmatique. Le Nouveau Roman (Alain Robbe-Grillet)
met en avant l'étrangeté du monde, soulignée par la minutie des descriptions.

Sur le nouveau roman, voir le site internet ci-dessous