Alain-Fournier





(L'arrivée d'Augustin Meaulnes comme interne dans un bourg de Sologne, chez un directeur d'école, a été pour le fils de ce dernier, François, le narrateur, "le commencement d'une vie nouvelle". Jusque là, après quatre heures, on ne le laissait guère sortir : il s'adonnait à la lecture, puis, le soir venu, "sans rien dire", il regardait sa mère "allumer son feu dans l'étroite cuisine où vacillait la flamme d'une bougie".)

Mais quelqu'un est venu qui m'a enlevé à tous ces plaisirs d'enfant paisible. Quelqu'un a soufflé la bougie qui éclairait pour moi le doux visage maternel penché sur le repas du soir. Quelqu'un a éteint la lampe autour de laquelle nous étions une famille heureuse, à la nuit, lorsque mon père avait accroché les volets de bois aux portes vitrées. Et celui-là, ce fut Augustin Meaulnes, que les autres élèves appelèrent bientôt le grand Meaulnes.

Dès qu'il fut pensionnaire chez nous, c'est-à-dire dès les premiers jours de décembre, l'école cessa d'être désertée le soir, après quatre heures. Malgré le froid de la porte battante, les cris des balayeurs et leurs seaux d'eau, il y avait toujours, après le cours, dans la classe, une vingtaine de grands élèves, tant de la campagne que du bourg, serrés autour de Meaulnes. Et c'étaient de longues discussions, des disputes interminables, au milieu desquelles je me glissais avec inquiétude et plaisir.

Meaulnes ne disait rien ; mais c'était pour lui qu'à chaque instant l'un des plus bavards s'avançait au milieu du groupe ; et, prenant à témoin tour à tour chacun de ses compagnons qui l'approuvaient bruyamment, racontait quelque longue histoire de maraude, que tous les autres suivaient, le bec ouvert, en riant silencieusement.

Assis sur un pupitre, en balançant les jambes, Meaulnes réfléchissait. Aux bons moments, il riait aussi, mais doucement, comme s'il eût réservé ses éclats de rire pour quelque meilleure histoire, connue de lui seul. Puis, à la nuit tombante, lorsque la lueur des carreaux de la classe n'éclairait plus le groupe confus des jeunes gens, Meaulnes se levait soudain et, traversant le cercle pressé:

"Allons, en route!" criait-il.

Alors, tous le suivaient, et l'on entendait leurs cris jusqu'à la nuit noire, dans le haut du bourg...


Alain-Fournier (1886-1914), Le Grand Meaulnes.


Question:

Caractérisez l'atmosphère dans laquelle vivait le narrateur avant l'arrivée de Meaulnes.

Avant l'arrivée d'Augustin Meaulnes, le narrateur vivait dans une atmosphère aussi "paisible" que son caractère. Il appréciait, le soir venu, la présence de ses parents, et le "doux visage maternel", éclairé par une bougie, semblait promettre affection et amour. La maison lui procurait la sécurité d'un monde clos, puisque le "père avait accroché les volets de bois aux portes vitrées", comme pour mieux le protéger. La lampe représentait en quelque sorte le centre d'un foyer que l'enfant n'avait aucune raison de quitter, et qui était pour lui la source d'un bonheur bien réel, dans une "famille heureuse". Un enfant peut être à son aise dans un tel cadre, mais un adolescent risque fort de le trouver trop étroit à son goût.


Aquarelle de Jacques Thévenet (1891-1989) pour la couverture de l'édition en livre de poche du roman
Le Grand Meaulnes d'Alain-Fournier (1963)
L'aquarelle est dédicacée à Isabelle Rivière, sœur d'Alain-Fournier.

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